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Blaise Pascal - Les Pensées

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Blaise Pascal - Les Pensées - Page 2 Empty Re: Blaise Pascal - Les Pensées

Message  _angie_ Sam 10 Nov - 15:46

[282]

XXX.

Pensées sur la mort, qui ont été extraites d'une lettre écrite par Monsieur Pascal sur le sujet de la mort de Monsieur son Père.

Quand nous sommes dans l'afflictions а cause de la mort de quelque personne pour qui nous avions de l'affection, ou pour quelque autre malheur qui nous arrive, nous ne devons pas chercher de la consolation dans nous-mêmes, ni dans les hommes, ni dans tout ce qui est créé ; mais nous la devons chercher en Dieu seul. Et la raison en est que toutes les créatures ne sont pas la première cause des accidents que nous appelons maux, mais que la providence de Dieu en étant l'unique et véritable cause, l'arbitre et la souveraine, il est indubitable qu'il faut recourir directement а la source, et remonter jusques а l'origine pour [283] trouver un solide allégement. Que si nous suivons ce précepte, et que nous considérions cette mort qui nous afflige, non pas comme un effet du hasard ni comme une nécessité fatale de la nature, ni comme le jouet des éléments et des parties qui composent l'homme (car Dieu n'a pas abandonné ses élus au caprice du hasard) mais comme une suite inévitable, juste, et sainte d'un arrêts de la providence de Dieu, pour être exécuté dans la plénitude de son temps ; et enfin que tout ce qui est arrivé a été de tout temps présent et préordonné en Dieu : si, dis-je, par un transport de grâce nous regardons cet accident, non dans lui même et hors de Dieu, mais hors de lui même, et dans la volonté même de Dieu, dans la justice de son arrêts, dans l'ordre de sa providence qui en est la véritable cause, sans qui il ne fût pas arrivé, par qui seule il est arrivé, et de la manière dont il est arrivé, nous adorerons dans un humble silence la hauteur impénétrable de ses secrets : nous [284] vénérerons la sainteté de ses arrêts : nous bénirons la conduite de sa providence : et unissant notre volonté а celle de Dieu même, nous voudrons avec lui, en lui, et pour lui, la chose qu'il a voulue en nous, et pour nous de toute éternité.

[§] Il n'y a de consolation qu'en la vérité seule. Il est sans doute que Sénèque et Socrate n'ont rien qui nous puisse persuader et consoler dans ces occasions. Ils ont été sous l'erreur qui a aveuglé tous les hommes dans le premier ; ils ont tous pris la mort comme naturelle а l'homme ; et tous les discours qu'ils ont fondés sur ce faux principe sont si vains et si peu solides, qu'ils ne servent qu'а montrer par leur inutilité, combien l'homme en général est faible, puisque les plus hautes productions de plus grands d'entre les hommes sont si basses et si puériles.

Il n'en est pas de même de JÉSUS-CHRIST : il n'en est pas ainsi des livres Canoniques. La vérité y est découverte, et la consolation y est jointe aussi infailliblement qu'elle est [285] infailliblement séparée de l'erreur. Considérons donc la mort dans la vérité que le Saint Esprit nous a apprise. Nous avons cet admirable avantage de connaоtre que véritablement et effectivement la mort est une peine du péché, imposée а l'homme, pour expier son crime ; nécessaire а l'homme, pour le purger du péché ; que c'est la seule qui peut délivrer l'âme de la concupiscence des membres, sans laquelle les Saints ne vivent point en ce monde. Nous savons que la vie et la vie des Chrétiens est un sacrifice continuel, qui ne peut être achevé que par la mort : nous savons que JÉSUS-CHRIST entrant au monde s'est considéré et s'est offert а Dieu comme un holocauste et une véritable victime ; que sa naissance, sa vie, sa mort, sa résurrection, son ascension, sa séance éternelle а la droite de son Père, et sa présence dans l'eucharistie ne sont qu'un seul et unique sacrifice : nous savons que ce qui est arrivé en JÉSUS-CHRIST doit arriver en tous ses membres. [286]

Considérons donc la vie comme un sacrifice ; et que les accidents de la vie ne fassent d'impression dans l'esprit des Chrétiens qu'а proportion qu'ils interrompent ou qu'ils accomplissent ce sacrifice. n'appelons mal que ce qui rend la victime du diable en Adam victime de Dieu ; et sur cette règle examinons la nature de la mort.

Pour cela il faut recourir а la personne de JÉSUS-CHRIST ; car comme Dieu ne considère les hommes que par le médiateur JÉSUS-CHRIST, les hommes aussi ne devraient regarder ni les autres, ni eux mêmes que médiatement par JÉSUS-CHRIST.

Si nous ne passons par ce milieu nous ne trouvons en nous que de véritables malheurs, ou des plaisirs abominables ; mais si nous considérons toutes choses en JÉSUS-CHRIST, nous trouverons toute consolation, toute satisfaction, toute édification.

Considérons donc la mort en JÉSUS-CHRIST, et non pas sans [287] JÉSUS- CHRIST. Sans JÉSUS-CHRIST elle est horrible, elle est détestable, et l'horreur de la nature. En JÉSUS-CHRIST elle est tout autre : elle est aimable, sainte, et la joie du fidèle. Tout est doux en JÉSUS-CHRIST jusqu'а la mort ; et c'est pourquoi il a souffert, et est mort pour sanctifier la mort et les souffrances ; et comme Dieu et comme homme il a été tout ce qu'il y a de grand, et tout ce qu'il y a d'abject ; afin de sanctifier en soi toutes choses excepté le péché, et pour être le modèle de toutes les conditions.

Pour considère ce que c'est que la mort et la mort en JÉSUS-CHRIST, il faut voir quel rang elle tient dans son sacrifice continuel et sans interruption, et pour cela remarquer que dans les sacrifices la principale partie est la mort de l'hostie. L'oblation, et la sanctification qui précèdent son des dispositions ; mais l'accomplissement est la mort, dans laquelle, par l'anéantissement de la vie, la créature rend а Dieu tout l'hommage dont elle est capable en s'anéantissant [288] devant les yeux de sa Majété et en adorant la souveraine existence, qui existe seule essentiellement. Il est vrai qu'il y a encore une autre partie après la mort de l'hostie, sans laquelle sa mort est inutile ; c'est l'acceptation que Dieu fait du sacrifice. C'est ce qui est dit dans l'Écriture : et odoratus est dominus odorem suavitatis, (Gen. 8. 11.) et Dieu a reçu l'odeur du sacrifice. C'est véritablement celle-lа qui couronne l'oblation ; mais elle est plutôt une action de Dieu vers la créature, que de la créature vers Dieu, et elle n'empêche pas que la dernière action de la créature ne soit la mort.

Toutes ces choses ont été accomplies en JÉSUS-CHRIST, en entrant au monde. Il s'est offert : obtulit semet ipsum per Spiritum Sanctum. (Hebr. 9. 14.) Ingrediens mundum dixit : ecce venio : in capite libri scriptum est de me, ut faciem, Deus, voluntatem tuam. (Hebr. 10. 5. 7.) Il s'est offert lui même par le Saint Esprit. Entrant dans le monde, il a dit : Seigneur, les sacrifices ne vous sont point [289] agréables ; mais vous m'avez formé un corps. Alors j'ai dit : me voici ; je viens selon qu'il est écrit de moi dans le livre, pour faire, mon Dieu, votre volonté ; (Ps. 39. [ : ]) Voilа son oblation. Sa sanctification a suivi immédiatement son oblation. Ce sacrifice a duré toute sa vie, et a été accompli par sa mort. Il a fallu qu'il ait passé par les souffrances, pour entrer en sa gloire : (Luc. 24. 26.) et quoiqu'il fût fils de Dieu, il a fallu qu'il ait appris l'obéissance. (Hebr. 5. 8.) Mais aux jours de sa chair ayant offert avec un grand cri et avec larmes ses prières et ses supplications а celui qui le pouvait tirer de la mort, il a été exaucé selon son humble respect pour son Père ; ( Ibid. ) et Dieu l'a ressuscité, et il lui a envoyé sa gloire figurée autrefois par le feu du ciel qui tombait sur les victimes, pour brûler et consumer son corps, et le faire vivre de la vie de la gloire. C'est ce que JÉSUS-CHRIST a obtenu, et qui a été accompli par sa résurrection.

Ainsi ce sacrifice étant parfait par la mort de JÉSUS-CHRIST, et [290] consommé même en son corps par sa résurrection, où l'image de la chair du péché, a été absorbée par la gloire, JÉSUS-CHRIST avait tout achevé de sa part ; et il ne restait plus sinon que le sacrifice fût accepté de Dieu, et que comme la fumée s'élevait, et portait l'odeur au trône de Dieu, aussi JÉSUS-CHRIST fût en cet état d'immolation parfaite offert, porté, et reçu au trône de Dieu même : et c'est ce qui a été accompli en l'ascension, en laquelle il est monté et par sa propre force et par la force de son Saint Esprit qui l'environnait de toutes parts. Il a été enlevé ; comme la fumée des victimes qui est la figure de JÉSUS-CHRIST était portée en haut par l'air qui soutenait qui est la figure du Saint Esprit : et les Actes des Apôtres nous marquent expressément qu'il fût reçu au ciel, pour nous assurer que ce saint sacrifice accompli en terre a été accepté, et reçu dans le sein de Dieu.

Voilа l'état des choses en notre souverain Seigneur. Considérons les [291] en nous maintenant. Lors que nous entrons dans l'Église qui est le monde des fidèles et particulièrement des élus, où JÉSUS-CHRIST entra dés le moment de son incarnation par un privilège particulier au fils unique de Dieu, nous somme offerts et sanctifiés. Ce sacrifice se continue par la vie, et s'accomplit а la mort, dans laquelle l'âme quittant véritablement tous les vices et l'amour de la terre dont la contagion l'infecte toujours durant cette vie, elle achève son immolation et est reçue dans le sein de Dieu.

Ne nous affligeons donc pas de la mort des fidèles, comme les Païens qui n'ont point d'espérance. Nous ne les avons pas perdus au moment de leur mort. Nous les avions perdus pour ainsi dire dés qu'ils étaient entrés dans l'Église par le baptême. Dès lors ils étaient а dieu : leurs actions ne regardaient le monde que pour Dieu. Dans leur mort ils se sont entièrement détachés des péchés ; et c'est en ce moment qu'ils ont été [292] reçus de Dieu, et que leur sacrifice a reçu son accomplissement et son couronnement.

Ils ont fait ce qu'ils avaient voué : ils ont achevé l'oeuvre que Dieu leur avait donné а faire : ils ont accompli la seule chose pour laquelle ils avaient été créés. La volonté de Dieu s'est accomplie en eux ; et leur volonté est absorbée en Dieu. Que notre volonté ne sépare donc pas ce que Dieu a uni ; et étouffons ou modérons par l'intelligence de la vérité les sentiments de la nature corrompue et déçue, qui n'a que de fausses images, et qui trouble par ses illusions la sainteté des sentiments que la vérité de l'Évangile nous doit donner.

Ne considérons donc plus la mort comme des Païens, mais comme des Chrétiens, c'est а dire avec l'espérance, comme Saint Paul l'ordonne, puisque c'est le privilège spécial des Chrétiens. Ne considérons plus un corps comme une charogne infecte, car la nature trompeuse le figure de la sorte, mais comme le temple [293] inviolable et éternel du Saint Esprit, comme la foi nous l'apprend.

Car nous savons que les corps des Saints sont habités par le Saint Esprit jusques а la résurrection qui se fera par la vertu de cet Esprit qui réside en eux pour cet effet. C'est le sentiment des Pères. C'est pour cette raison que nous honorons les reliques des morts : et c'est sur ce vrai principe que l'on donnait autrefois l'Eucharistie dans la bouche des morts ; parce que comme on savait qu'ils étaient le temple du Saint Esprit, on croyait qu'ils méritaient d'être aussi unis а ce Saint Sacrement. Mais l'Église a changé cette coutume, non pas qu'elle croie que ces corps ne soient pas saints, mais par cette raison, que l'Eucharistie étant le pain de vie et des vivants, il ne doit pas être donné aux morts.

Ne considérons plus fidèles qui sont morts en la grâce de Dieu comme ayant cessé de vivre, quoique la nature le suggère ; mais comme commençant а vivre, comme la vérité l'assure. Ne considérons plus [294] leurs âmes comme péries et réduites au néant, mais comme vivifiées et unies au souverain vivant : et corrigeons ainsi par l'attention а ces vérités les sentiments d'erreurs qui sont si empreints en nous mêmes, et ces mouvements d'horreur qui sont si naturels а l'homme.

[§] Dieu a créé l'homme avec deux amours, l'un pour Dieu, l'autre pour soi même ; mais avec cette loi, que l'amour pour Dieu serait infini, c'est а dire sans aucune autre fin que Dieu même, et que l'amour pour soi même serait fini et rapportant а Dieu.

L'homme en cet état non seulement s'aimait sans péché, mais il ne pouvait pas ne point s'aimer sans péché.

Depuis, le péché originel étant arrivé, l'homme a perdu le premier de ces amours ; et l'amour pour soi même étant rété seul dans cette grande âme capable d'un amour infini, cet amour propre s'est étendu et débordé dans le vide que l'amour de Dieu a quitté ; et ainsi il s'est aimé seul, et [295] toutes choses pour soi, c'est а dire infiniment.

Voilа l'origine de l'amour propre. Il étaient naturel а Adam, et juste en son innocence ; mais il est devenu et criminel et immodéré ensuite de son péché. Voilа la source de cet amour, et la cause de sa défectuosité et de son excès.

Il en est de même du désir de dominer, de la paresse, et des autres. L'application en est aisée а faire au sujet de l'horreur que nous avons de la mort. Cette horreur était naturelle et juste dans Adam innocent ; parce que sa vie étant très agréable а Dieu, elle devait être agréable а l'homme : et la mort eût été horrible, parce qu'elle eût fini une vie conforme а la volonté de Dieu. Depuis, l'homme ayant péché, sa vie est devenue corrompue, son corps et son âme ennemis l'un de l'autre, et tous deux de Dieu.
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Message  _angie_ Sam 10 Nov - 15:46

Ce changement ayant infecté une si sainte vie, l'amour de la vie est néanmoins demeuré ; et l'horreur [296] de la mort étant rétée pareille, ce qui était juste en Adam est injuste en nous.

Voilа l'origine de l'horreur de la mort, et la cause de sa défectuosité.

Éclairons donc l'erreur de la nature par la lumière de la foi.

L'horreur de la mort est naturelle ; mais c'est en l'état d'innocence ; parce qu'elle n'eût pu entrer dans le Paradis qu'en finissant une vie toute pure. Il était juste de la haïr quand elle n'eût pu arriver qu'en séparant une âme sainte d'un corps saint : mais il est juste de l'aimer quand elle sépare une âme sainte d'un corps impur. Il était juste de la fuir, quand elle eût rompu la paix entre l'âme et le corps ; mais non pas quand elle en calme la dissension irréconciliable. Enfin quand elle eût affligé un corps innocent, quand elle eût ôté au corps la liberté d'honorer Dieu, quand elle eût séparé de l'âme un corps soumis et coopérateur а ses volontés, quand elle eût fini tous les biens dont l'homme est capable, il était juste de l'abhorrer ; mais quand elle finit une vie [297] impure, quand elle ôte au corps la liberté de pécher, quand elle délivre l'âme d'un rebelle très puissant et contredisant tous les motifs de son salut, il est très injuste d'en conserver les mêmes sentiments.

Ne quittons donc pas cet amour que la nature nous a donné pour la vie, puisque nous l'avons reçu de Dieu ; mais que ce soit pour la même vie pour laquelle Dieu nous l'a donné, et non pas pour un objet contraire.

Et en consentant а l'amour qu'Adam avait pour sa vie innocente, et que JÉSUS-CHRIST même а eu pour la sienne, portons-nous а haïr une vie contraire а celle que JÉSUS-CHRIST a aimée, et n'appréhender que la mort que JÉSUS-CHRIST a appréhendée, qui arrive а un corps agréable а Dieu ; mais non pas а craindre une mort, qui punissant un corps coupable et purgeant un corps vicieux, nous doit donner des sentiments tout contraires, si nous avons un peu de foi, d'espérance, et de charité.

C'est un des grands principes du Christianisme, que tout ce qui est [298] arrivé а JÉSUS-CHRIST doit se passer et dans l'âme et dans le corps de chaque Chrétien : que comme JÉSUS-CHRIST a souffert durant sa vie mortelle, est ressuscité d'une nouvelle vie, et est monté au ciel, où il est assis а la droite de Dieu son Père ; ainsi le corps et l'âme doivent souffrir, mourir, ressusciter, et monter au ciel.

Toutes ces choses s'accomplissent dans l'âme durant cette vie, mais non dans le corps.

L'âme souffre et meurt au péché dans la pénitence et dans le baptême. L'âme ressuscite а une nouvelle vie dans ces sacrements. Et enfin l'Âme quitte la terre et monte au ciel en menant une vie céleste, ce qui fait dire а Saint Paul, Conversatio nostra in cжlis est. [Philip. 3, 20]

Aucune de ces choses n'arrive dans le corps durant cette vie, mais les mêmes choses s'y passent ensuite.

Car а la mort le corps meurt а sa vie mortelle : au Jugement il ressuscitera а une nouvelle vie : après le Jugement il montera au ciel, et y demeurera éternellement. [299]

Ainsi les mêmes choses arrivent au corps et а l'âme, mais en différents temps, et les changements du corps n'arrivent que quand ceux de l'âme sont accomplis, c'est а dire après la mort : de sorte que la mort est le couronnement de la béatitude de l'âme et le commencement de la béatitude du corps.

Voilа les admirables conduites de la sagesse de Dieu sur le salut des âmes : et Saint Augustin nous apprend sur ce sujet, que Dieu en a disposé de la sorte, de peur que si le corps de l'homme fût mort et ressuscité pour jamais dans le baptême, on ne fût entré dans l'obéissance de l'Évangile que par l'amour de la vie ; au lieu que la grandeur de la foi éclate bien davantage lorsque l'on tend а l'immortalité par les ombres de la mort. [cf. s. Aug. Cité de Dieu, XIII, 4]

[§] Il n'est pas juste que nous soyons sans ressentiment et sans douleur dans les afflictions et les accidents fâcheux qui nous arrivent comme des Anges qui n'ont aucune sentiment de la nature : il n'est pas juste aussi que nous soyons sans consolation comme des [300] Païens qui n'ont aucun sentiment de la grâce : mais il est juste que nous soyons affligés et consolés comme Chrétiens, et que la consolation de la grâce l'emporte par dessus les sentiments de la nature ; afin que la grâce soit non seulement en nous, mais victorieuse en nous ; qu'ainsi en sanctifiant le nom de notre Père, sa volonté devienne la nôtre ; que sa grâce règne et domine sur la nature ; et que nos afflictions soient comme la matière d'un sacrifice que sa grâce consomme et anéantisse pour la gloire de Dieu ; et que ces sacrifices particuliers honorent et préviennent les sacrifice universel où la nature entière doit être consommée par la puissance de JÉSUS-CHRIST.

Ainsi nous tirerons avantage de nos propres imperfections, puisqu'elles serviront de matière а cet holocauste ; car c'est le but des vrais Chrétiens de profiter de leurs propres imperfections, parce que tout coopère en bien pour les élus.

Et si nous y prenons garde de prés nous trouverons de grands avantages [301] pour notre édification en considérant la chose dans la vérité ; car puisqu'il est véritable que la mort du corps n'est que l'image de celle de l'âme, et que nous bâtissons sur ce principe, que nous avons sujet d'espérer du salut de ceux dont nous pleurons la mort ; il est certain que si nous ne pouvons arrêter le cours de notre tristesse et de notre déplaisir, nous en devons tirer ce profit, que puisque la mort du corps est si terrible, qu'elle nous cause de tels mouvements, celle de l'âme nous en devrait bien causer de plus inconsolables. Dieu a envoyé la première а ceux que nous regrettons : nous espérons qu'il a détourné la seconde : considérons donc la grandeur de nos maux, et que l'excès de notre douleur soit la mesure de celle de notre joie.

Il n'y a rien qui la puisse modérer sinon la crainte que leurs âmes ne languissent pour quelque temps dans les peines qui sont destinées а urger le reste des péchés de cette vie : et c'est pour fléchir la colère de Dieu sur eux [302] que nous devons soigneusement nous employer.

La prière et les sacrifices sont un souverain remède а leurs peines. Mais une des plus solides et plus utiles charités envers les morts est de faire les choses qu'ils nous ordonneraient s'ils étaient encore au monde, et de nous mettre pour eux en l'état auquel ils nous souhaitent а présent.

Par cette pratique nous les faisons revivre en nous en quelque sorte, puisque ce sont leurs conseils qui sont encore vivants et agissants en nous : et comme les hérésiarques sont punis en l'autre vie des péchés auxquels ils ont engagé leurs sectateurs dans lesquels leur venin vit encore ; ainsi les morts sont récompensés outre leur propre mérité pour ceux auxquels ils ont donné suite par leurs conseils et leur exemple.

[§] L'homme est assurément trop infirme pour pouvoir juger sainement de la suite des choses futures. Espérons donc en Dieu, et ne nous fatiguons pas par des prévoyantes [303] indiscrètes et téméraires. Remettons nous а Dieu pour la conduite de nos vies, et que le déplaisir ne soit pas dominant en nous.

Saint Augustin nous apprend, qu'il y a dans chaque homme un serpent, une Ève, et un Adam. Le serpent sont les sens et notre nature, l'Ève est l'appétit concupiscible, et l'Adam est la raison. [cf. s. Aug. De Gn ctr Man, II, 20]

La nature nous tente continuellement : l'appétit concupiscible désire souvent : mais le péché n'est pas achevé si la raison ne consent.

Laissons donc agir ce serpent et cette Ève, si nous ne pouvons l'empêcher : mais prions Dieu que sa grâce fortifie tellement notre Adam, qu'il demeure victorieux, que JÉSUS-CHRIST en soit vainqueur, et qu'il éternellement en nous.

XXXI.

Pensées diverses.

A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus [304] d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes.

[§] On peut avoir le sens droit, et n'aller pas également а toutes choses ; car il y en a qui l'ayant droit dans un certain ordre de choses, s'éblouissent dans les autres. Les uns tirent bien les conséquences de peu de principes. Les autres tirent bien les conséquences des choses où il y a beaucoup de principes. Par exemple, les uns comprennent bien les effets de l'eau, en quoi il y a peu de principes, mais dont les conséquences sont si fines, qu'il n'y a qu'une grande pénétration qui puisse y aller ; et ceux lа ne seraient peut être pas grands géomètres ; parce que la Géométrie comprend un grand nombre de principes, et qu'une nature d'esprit peut être telle, qu'elle ne puisse pénétrer jusqu'au fond, et quelle ne puisse pénétrer les choses où il y a beaucoup de principes.

Il y a donc deux sortes d'esprits, l'un de pénétrer vivement et profondément les conséquences des principes, [305] et c'est lа l'esprit de justesse : l'autre de comprendre un grand nombre de principes sans les confondre, et c'est lа l'esprit de Géométrie. L'un est force et droiture d'esprit, l'autre est étendue d'esprit. Or l'un peut être sans l'autre, l'esprit pouvant être fort et étroit, et pouvant être aussi étendu et faible.

Il y a beaucoup de différence entre l'esprit de Géométrie et l'esprit de finesse. En l'un les principes sont palpables, mais éloignez de l'usage commun, de sorte qu'on a peine а tourner la teste de ce côté lа manque d'habitude ; mais pour peu qu'on s'y tourne on voit les principes а plein ; et il faudrait avoir tout а fait l'esprit faux pour mal raisonner sur des principes si gros qu'il est presque impossible qu'ils échappent.

Mais dans l'esprit de finesse les principes sont dans l'usage commun, et devant les yeux de tout le monde. On n'a que faire de tourner la teste ni de se faire violence. Il n'est question que d'avoir bonne vue : mais il faut l'avoir bonne ; car les principes [306] en sont si déliés et en si grand nombre, qu'il est presque impossible qu'il n'en échappe. Or l'omission d'un principe mène а l'erreur : ainsi il faut avoir la vue bien nette, pour voir tous les principes ; et ensuite l'esprit juste, pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus.

Tous les géomètres seraient donc fins, s'ils avaient la vue bonne ; car ils ne raisonnent pas faux sur les principes qu'ils connaissent : et les esprits fins seraient géomètres, s'ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés de Géométrie.
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Message  _angie_ Sam 10 Nov - 15:46

Ce qui fait donc que certains esprits fins ne sont pas géomètres, c'est qu'ils ne peuvent du tout se tourner vers les principes de Géométrie : mais ce qui fait que des géomètres ne sont pas fins, c'est qu'ils ne voient pas ce qui est devant eux, et qu'étant accoutumés aux principes nets et grossiers de Géométrie, et а ne raisonner qu'après avoir bien vu et manié leurs principes, ils se perdent dans les choses de finesse, où les principes ne se laissent pas ainsi [307] manier. On les voit а peine : on les sent plutôt qu'on ne les voit : on a des peines infinies а les faire sentir а ceux qui ne les sentent pas d'eux-mêmes : ce sont choses tellement délicates et si nombreuses, qu'il faut un sens bien délicat et bien net pour les sentir, et sans pouvoir le plus souvent les démontrer par ordre comme en Géométrie, parce qu'on n'en possède pas ainsi les principes, et que ce serait une chose infinie de l'entreprendre. Il faut tout d'un coup voir la chose d'un seul regard, et non par progrès de raisonnement, au moins jusqu'а un certain degré. et ainsi il est rare que les géomètres soient fins, et que les fins soient géomètres ; а cause que les géomètres veulent traiter géométriquement les choses fines, et se rendent ridicules, voulant commencer par les définitions, et ensuite par les principes, ce qui n'est pas la manière d'agir en cette sorte de raisonnement. Ce n'est pas que l'esprit ne le fasse ; mais il le fait tacitement, naturellement, et sans art ; car l'expression en passe tous les hommes, et le [308] sentiment n'en appartient qu'а peu.

et les esprits fins au contraire ayant ainsi accoutumé de juger d'une seule vue, sont si étonnez quand on leur présente des propositions où ils ne comprennent rien, et où pour entrer il faut passer par des définitions et des principes stériles et qu'ils n'ont point accoutumé de voir ainsi en détail, qu'ils s'en rebutent et s'en dégoûtent. Mais les esprit faux ne sont jamais ni fins ni géomètres.

Les géomètres qui ne sont que géomètres ont donc l'esprit droit, mais pourvu qu'on leur explique bien toutes choses par définitions et par principes ; autrement ils sont faux et insupportables ; car ils ne sont droits que sur les principes bien éclaircis. et les fins qui ne sont que fins ne peuvent avoir la patience de descendre jusqu'aux premiers principes des choses spéculatives et d'imagination qu'ils n'ont jamais vues dans le monde et dans l'usage.

[§] La mort est plus aisée а supporter sans y penser, que la pensée de la mort sans péril. [309]

[§] Il arrive souvent qu'on prend pour prouver certaines choses des exemples qui sont tels, qu'on pourrait prendre ces choses pour prouver ces exemples ; ce qui ne laisse pas de faire son effet ; car comme on croit toujours que la difficulté est а ce qu'on veut prouver, on trouve les exemples plus clairs. Ainsi quand on veut montrer une chose générale, on donne la règle particulière d'un cas. Mais si on veut montrer un cas particulier, on commence par la règle générale. On trouve toujours obscure la chose qu'on veut prouver, et claire celle qu'on emploie а la prouver ; car quand on propose une chose а prouver, d'abord on se remplit de cette imagination qu'elle est donc obscure, et au contraire que celle qui la doit prouver est claire, et ainsi on l'entend aisément.

[§] Nous supposons que tous les hommes conçoivent et sentent de la même sorte les objets qui se présentent а eux : mais nous le supposons bien gratuitement ; car nous n'en avons aucune preuve. Je vois bien [310] qu'on applique les mêmes mots dans les mêmes occasions, et que toutes les fois que deux hommes voient, par exemple, de la neige, ils expriment tous deux la vue de ce même objet par les mêmes mots, en disant l'un et l'autre qu'elle est blanche : et de cette conformité d'application on tire une puissante conjecture d'une conformité d'idée ; mais cela n'est pas absolument convainquant, quoiqu'il y ait bien а parier pour l'affirmative.

[§] Tout notre raisonnement ce réduit а céder au sentiment. Mais la fantaisie est semblable et contraire au sentiment ; semblable, parce qu'elle ne raisonne point ; contraire, parce qu'elle est fausse : de sorte qu'il est bien difficile de distinguer entre ces contraires. L'un dit que mon sentiment est fantaisie : et j'en dis de même de mon côté. On aurait besoin d'une règle. La raison s'offre ; mais elle est pliable а tous sens ; et ainsi il n'y en a point.

[§] Ceux qui jugent d'un ouvrage par règle, sont а l'égard des autres, [311] comme ceux qui ont une montre а l'égard de ceux qui n'en ont point. L'un dit : il y a deux heures que nous sommes ici. L'autre dit : il n'y a que trois quarts d'heure. Je regarde ma montre : je dis а l'un : vous vous ennuyez ; et а l'autre : le temps ne vous dure guère ; car il y a une heure et demie ; et je me moque de ceux qui disent, que le temps me dire а moi, et que j'en juge par fantaisie : ils ne savent pas que j'en juge par ma montre.

[§] Il y a en a qui parlent bien et qui n'écrivent pas de même. C'est que le lieu, l'assistance, etc. les échauffe, et tire de leur esprit plus qu'ils n'y trouveraient sans cette chaleur.

[§] C'est une grand mal de suivre l'exception, au lieu de la règle. Il faut être sévère, et contraire а l'exception. Mais néanmoins comme il est certain qu'il y a des exceptions de la règle, il en faut juger sévèrement, mais justement.

[§] Il est vrai en un sens de dire que tout le monde est dans [312] l'illusion : car encore que les opinion du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa teste ; parce qu'il croit que la vérité est où elle n'est pas. La vérité est bien dans leurs opinions ; mais non pas au point ils se le figurent.

[§] Ceux qui sont capables d'inventer son rares : ceux qui n'inventent point sont en plus grand nombre, et par conséquent les plus forts. et l'on voit que pour l'ordinaire ils refusent aux inventeurs la gloire qu'ils méritent, et qu'ils cherchent par leurs inventions. S'ils s'obstinent а la vouloir avoir, et qu'ils cherchent par leurs inventions, et а traiter de mépris ceux qui n'inventent pas, tout ce qu'ils y gagnent, c'est qu'on leur donne des noms ridicules, et qu'on les traite de visionnaires. Il faut donc bien se garder de se piquer de cet avantage, tout grand qu'il est ; et l'on doit se contenter d'être estimé du petit nombre de ceux qui en connaissent le prix.

[§] L'esprit croit naturellement, et la volonté aime naturellement. De sorte qu'а faute de vrais objets, [313] il faut qu'ils s'attachent aux faux.

[§] Plusieurs choses certaines sont contredites : plusieurs passent sans contradiction. Ni la contradiction n'est marque de fausseté ; ni l'incontradiction n'est marque de vérité.

[§] César était trop vieux, ce me semble, pour s'aller amuser а conquérir le monde. Cet amusement était bon а Alexandre : c'était un jeune homme qu'ils était difficile d'arrêter : mais César devait être plus mûr.

[§] Tout le monde voit qu'on travaille pour l'incertain, sur mer, en bataille, etc. Mais tout le monde ne voit pas la règle des partis qui démontre qu'on le doit. Montaigne a vu qu'on s'offense d'un esprit boiteux, et que la coutume fait tout. Mais il n'a pas vu la raison de cet effet. Ceux qui ne voient que les effets et qui ne voient pas les causes, sont а l'égard de ceux qui découvrent les causes, comme ceux qui n'ont que des yeux а l'égard de ceux qui ont de l'esprit. Car les effets sont comme sensibles, et les raisons sont [314] visibles seulement а l'esprit. et quoique ce soit par l'esprit que ces effets lа se voient, cet esprit est а l'égard de l'esprit qui voit les causes, comme les sens corporels sont а l'égard de l'esprit.

[§] Le sentiment de la fausseté des plaisirs présents, et l'ignorance de la vanité des plaisirs absents cause l'inconstance.

[§] Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait peut-être autant que les objets que nous voyons tous les jours. et si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits douze heures durant qu'il est Roi, je crois qu'il serait presque aussi heureux qu'on Roi qui rêverait toutes les nuits douze heures durant qu'il serait artisan. Si nous rêvions toutes les nuits que nous sommes poursuivis par des ennemis, et agitez par ces fantômes pénibles, et qu'on passât tous les jours en diverses occupations, comme quand on fait un voyage, on souffrirait presque autant que se cela était véritable, et on appréhenderait le dormir, [315] comme on appréhende le réveil, quand on craint d'entrer dans de tels malheurs en effet. et en effet il serait а peu prés les mêmes maux que la réalité. Mais parce que les songes sont tous différents, et se diversifient, ce qu'on y voit affecte bien moins que ce qu'on voit en veillant, а cause de la continuité, qui n'est pas pourtant si continue et égale, qu'elle ne change aussi, mais moins brusquement, si ce n'est rarement, comme quand on voyage ; et alors on dit : il me semble que je rêve : car la vie est un songe un peu moins inconstant.

[§] Mais les Princes et les Rois se jouent quelquefois. Ils ne sont pas toujours sur leurs trônes ; ils s'y ennuieraient. La grandeur a besoin d'être quittée pour être sentie.

[§] C'est une plaisante chose а considérer de ce qu'il y a des gens dans le monde qui ayant renoncé а toutes les lois de Dieu et de la nature s'en sont faites eux-mêmes auxquelles ils obéissent exactement, comme par exemple les voleurs, etc.

[§] Ces grands efforts d'esprit où [316] l'âme touche quelquefois, sont choses où elle ne se tient pas. Elle y faute seulement, mais pour retomber aussitôt.

[§] Pourvu qu'on sache la passion dominante de quelqu'un, on est assuré de lui plaire : et néanmoins chacun a ses fantaisies contraires а son propre bien, dans l'idée même qu'il a du bien : et c'est un bizarrerie qui déconcerte ceux qui veulent gagner leur affection.

[§] Comme on se gâte l'esprit, on se gâte aussi le sentiment. On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations. Ainsi les bonnes ou les mauvaises le forment ou le gâtent. Il importe donc de tout de bien savoir choisir, pour se le former et ne le point gâter ; et on ne saurait faire ce choix, si on ne l'a déjа formé, et point gâté. Ainsi cela fait un cercle, d'où bien heureux sont ceux qui sortent.

[§] On se croit naturellement bien plus capable d'arriver au centre des choses que d'embrasser leur circonférence. L'étendue visible du monde [317] nous surpasse visiblement. Mais comme c'est nous qui surpassons les petites choses, nous nous croyons plus capables de les posséder. et cependant il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu'au néant que jusqu'au tout. Il la faut infinie dans l'un et dans l'autre cas : et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses, pourrait aussi arriver jusqu'а connaоtre l'infini. L'un dépend de l'autre, et l'un conduit а l'autre. Les extrémités se touchent, et se réunissent а force de s'être éloignées, et se retrouvent en Dieu, et en Dieu seulement.

Si l'homme commençait par s'étudier lui-même, il verrait combien il est incapable de passer outre. Comment se pourrait-il qu'une partie connût le tout ? Il aspirera peut-être а connaоtre au moins les parties avec lesquelles il a de la proportion. Mais les parties du monde ont toutes un tel rapport, et un tel enchaоnement l'une avec l'autre, que je crois impossible de connaоtre l'une sans l'autre et sans le tout. [318]

L'homme, par exemple, a rapport а tout ce qu'il connaоt. Il a besoin de lieu pour le contenir, de temps pour durer, de mouvement pour vivre, d'éléments pour le composer, de chaleur et d'aliments pour se nourrir, d'air pour respirer. Il voit la lumière : il sent les corps : enfin tout tombe sous son alliance.

Il faut donc pour connaоtre l'homme, savoir d'où vient qu'il a besoin d'air pour subsister. et pour connaоtre l'air, il faut savoir par où il a rapport а la vie de l'homme.

La flamme ne subsiste point sans l'air. Donc pour connaоtre l'un il faut connaоtre l'autre.

Donc toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiatement et immédiatement, et toutes s'entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaоtre les parties sans connaоtre le tout, non plus que de connaоtre le tout sans connaоtre particulièrement les parties.

et ce qui achève peut-être notre [319] impuissance а connaоtre les choses, c'est qu'elles sont simples en elles-mêmes, et que nous sommes composez de deux natures opposées et de divers genre d'âme et de corps : car il est impossible que la partie qui raisonne en nous soit autre que spirituelle. et quand on prétendrait que nous fussions simplement corporels, cela nous exclurait bien davantage de la connaissance des choses, n'y ayant rien de si inconcevable que de dire que la matière se puisse connaоtre soi-même.

C'est cette composition d'esprit et de corps qui a fait que presque tous les Philosophes ont confondu les idées des choses, et attribué aux corps ce qui n'appartient qu'aux esprits, et aux esprits ce qui ne peut convenir qu'aux corps. Car ils disent hardiment que les corps tendent en bas, qu'ils aspirent а leur centre, qu'ils fuient leurs destruction, qu'ils craignent le vide, qu'ils ont des inclinations, des sympathies, des antipathies ; qui sont toutes choses qui n'appartiennent qu'aux esprits. et en parlant [320] des esprits, ils les considèrent comme en un lieu, et leur attribuent le mouvement d'une place а une autre ; qui sont des choses qui n'appartiennent qu'aux corps, etc.

Au lieu de recevoir les idées des choses en nous, nous teignons des qualités de notre être composé toutes les choses simples que nous contemplons.
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Message  _angie_ Sam 10 Nov - 15:47

Qui ne croirait а nous croire composer toutes choses d'esprit et de corps, que ce mélange lа nous serait bien compréhensible ? C'est néanmoins la chose que l'on comprend le moins. L'homme est а lui-même le plus prodigieux objet de la nature ; car il ne peut concevoir ce que c'est que corps, et encore moins ce que c'est qu'esprit, et moins qu'aucune chose comment un corps peut être uni avec un esprit. C'est lа la comble de ses difficultés ; et cependant c'est son propre être. Modus quo corporibus adhжret spiritus comprehendi ab hominibus non potest, et hoc tamen homo est. [s. Aug. Cité de Dieu, XXI, 10]

[§] Lorsque dans les choses de la nature, dont la connaissance ne nous [321] est pas nécessaire, il y en a dont on ne sait pas la vérité, il n'est peut-être pas mauvais qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des hommes ; comme par exemple la Lune а qui on attribue les changements de temps, les progrès des maladies, etc. Car c'est une des principales maladies de l'homme que d'avoir une curiosité inquiète pour les choses qu'il ne peut savoir ; et je ne sais si ce ne lui est point un moindre mal d'être dans l'erreur pour les choses de cette nature, que d'être dans cette curiosité inutile.

[§] Notre imagination nous grossit si fort le temps présent а force d'y faire des réflexions continuelles, et amoindrit tellement l'éternité, faute d'y faire réflexion, que nous faisons de l'éternité un néant, et du néant une éternité. et tout cela a ses racines si vives en nous, que toute notre raison ne nous en peut défendre.

[§] Ce chien est а moi, disaient ces pauvres enfants ; c'est lа ma place au soleil : voilа le commencement et l'image de l'usurpation de toute la terre. [322]

[§] L'esprit a son ordre, qui est par principes et démonstrations ; le coeur en a un autre. On ne prouve pas qu'on doit être aimé, en exposant d'ordre les causes de l'amour : cela serait ridicule.

JÉSUS-CHRIST, et Saint Paul ont bine plus suivi cet ordre du coeur qui est celui de la charité que celui de l'esprit ; car leur but principal n'était pas d'instruire, mais d'échauffer. S. Augustin de même. Cet ordre consiste principalement а la digression sur chaque point, qui a rapport а la fin, pour la montrer toujours.

[§] On ne s'imagine d'ordinaire Platon et Aristote qu'avec de grandes robes, et comme des personnages toujours graves et sérieux. C'étaient d'honnêtes gens, qui riaient comme les autres avec leurs amis. et quand ils ont fait leurs lois et leurs traités de politique, ç'a été en se jouant, et pour se divertir. C'était la partie la moins philosophe et la moins sérieuse de leur vie. La plus philosophe était de vivre simplement et tranquillement.

[§] Il y en a qui masquent toute [323] la nature. Il n'y a point de Roi parmi eux, mais un auguste Monarque ; point de Paris, mais une capitale du Royaume.

[§] Quand dans un discours ont trouve des mots répétés, et qu'essayant de les corriger on les trouve si propres qu'on gâterait le discours, il les faut laisser ; ç'en est la marque ; et c'est lа la part de l'envie qui est aveugle, et qui ne sait pas que cette répétition n'est pas faute en cet endroit ; car il n'y a point de règle générale.

[§] Ceux qui font des antithèses en forçant les mots, sont comme ceux qui font de fausses fenêtre pour la symétrie. Leur règle n'est pas de parler juste, mais de faire des figures justes.

[§] Il y a un modèle d'agrément et de beauté, qui consiste en un certain rapport entre notre nature faible ou forte telle qu'elle est, et la chose qui nous plaоt. Tout ce qui est formé sur ce modèle nous agrée, maison, chanson, discours, vers, prose, femmes, oiseaux, rivières, arbres, chambres, habits. Tout ce qui n'est [324] point sur ce modèle déplaоt а ceux qui ont le goût bon.

[§] Comme on dit beauté poétique, on devrait dire aussi beauté géométrique, et beauté médicinale. Cependant on ne le dit point ; et la raison en est, qu'on sait bien quel est l'objet de la Géométrie, et quel est l'objet de la Médecine ; mais on ne sait pas en quoi consiste l'agrément qui est l'objet de la poésie. On ne sait ce que c'est que ce modèle naturel qu'il faut imiter ; et а faute de cette connaissance, on a inventé de certains termes bizarres, siècle d'or, merveille de nos jours, fatal laurier, bel astre, etc. et on appelle ce jargon, beauté poétique. Mais qui s'imaginera une femme vêtue sur ce modèle, verra une jolie demoiselle toute couverte de miroirs et de chaоnes de laiton ; et au lieu de la trouver agréable, il ne pourra s'empêcher d'en rire ; parce qu'on sait mieux en quoi consiste l'agrément d'une femme que l'agrément des vers. Mais ceux qui ne s'y connaissent pas l'admireraient peut-être en cet équipage ; [325] et il y a bien des villages où l'on la prendrait pour la Reine : et c'est pourquoi il y en a qui appellent des sonnets faits sur ce modèle, des Reines de village.

[§] Quand un discours naturel peint une passion ou un effet, on trouve dans soi-même la vérité de ce qu'on entend, qui y était sans qu'on le sût ; et on se sent porté а aimer celui qui nous le fait sentir. Car il ne nous fait pas montre de son bien, mais du nôtre ; et qu'ainsi ce bienfait nous le rend aimable ; outre que cette communauté d'intelligence que nous avons avec lui incline nécessairement le coeur а l'aimer.

[§] Il faut qu'il y ait dans l'éloquence de l'agréable, et du réel ; mais il faut que cet agréable soit réel.

[§] Quand on voit le style naturel, on est tout étonné, et ravi ; car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme. Au lieu que ceux qui ont le goût bon, et qui en voyant un livre croient trouver un homme, sont tous surpris de trouver un auteur : plus poëticè quam humane locutus [326] est [le mot est de Pétrone] Ceux lа honorent bien la nature, qui lui apprennent qu'elle peut parler de tout, et même de Théologie.

[§] Dans le discours, il ne faut point détourner l'esprit d'une chose а une autre, si ce n'est pour le délasser, mais dans le temps où cela est а propos, et non autrement ; car qui veut délasser hors de propos, lasse. On se rebute, et on quitte tout lа : tant il est difficile de rient obtenir de l'homme que par le plaisir, qui est la monnaie pour laquelle nous donnons tout ce qu'on veut.

[§] L'homme aime la malignité ; mais ce n'est pas contre les malheureux, mais contre les heureux superbes : et c'est se tromper que d'en juger autrement.

[§] L'Épigramme de Martial sur les borgnes ne vaut rien ; parce qu'elle ne les console pas, et ne fait que donner une point а la gloire de l'auteur. Tout ce qui n'est que pour l'auteur ne vaut rien. Ambitiosa recidet ornamenta. [Horace, Épоtre aux Pisons, 447] Il faut plaire а ceux qui ont les sentiments humains et tendres, et non aux âmes barbares et inhumaines. 1. C'est ici une lettre hébraïque.

*FIN*
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